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"Mémoire d'autre" de Pierre dalle Nogare, éditions Flammarion, janvier 1972, 94 pages

 “l’art lave notre âme de la poussière du quotidien”  Pablo Picasso

En se reportant au deuxième tome de l'"Anthologie de la poésie française du XXe siècle" (Poésie/Gallimard, 2000), on trouve mentionnés 8 poètes nés en 1934 : Bernard Vargaftig, Charles Juliet, Claude Pélieu, Paul-Louis Rossi, Sylvia Baron-Supervielle, Francis Giauque, Jacques Chessex, Ludovic Janvier, mais pas Pierre dalle Nogare, né cette année-là et mort en 1984. L'auteur d'Erosion Usure a tout de même été lauréat du Prix Mallarmé en 1982. Mystère. Signalons que les 5 premiers auteurs cités ont été publiés in Diérèse. Des pages inédites de Pierre dalle Nogare ont paru in Diérèse opus 31 (décembre 2005).
Poète, romancier, auteur dramatique, Pierre dalle Nogare est né de père italien et de mère lorraine, il écrit en quatrième de couverture du livre qui nous intéresse aujourd'hui, Mémoire d'autre : "L'Homme sans cesse transformé devient une absence agissante pour autrui. Il dit Je et reste Il..." L'accès à son écriture, des plus tourmentées, ne répond pas aux canons "classiques" du genre ; spiritualiste, voire conceptuelle, elle est à la recherche du moi véritable, hors les interférences du corps social, quête qui n'est pas sans rappeler celle d'un Marc Guyon. Pour Nogare, la réalité, et les quatre éléments que les Anciens considéraient comme les composants ultimes de la réalité (sachant que pour les Asiatiques, le cinquième élément est le métal) n'est pas seulement la forme, mais aussi ce qui la traverse, la relie à autre chose. Tout le reste (ce qui maintient la forme) est secondaire, et ne devrait nous préoccuper que dans la mesure où il nous permet de garder le cap, conçu comme survivance. Participant pleinement à l'innocence qui nous entoure, le poète se réfère alternativement au début et à la fin de sa propre existence (il se sait déjà condamné, quand est publié à La Différence Mourir ailleurs ; et c'est sa mort qu'il va alors mettre en scène, en quelque sorte, l'anticipant, au travers de ses écrits) : car dans son optique les morts aussi bien que les vivants s'essayent aux pointes sur une corde tendue entre l'être et le non-être, au sein d'un rythme cosmique dont l'Homme n'est qu'une forme, lumineuse et sombre à la fois, quand l'échelonnement du temps ne serait lui qu'une vue de l'esprit.

Mémoire d'autre est divisé en 5 sections, celle dont vous pourrez lire des extraits est la deuxième, dont le dédicataire n'est autre que le plasticien François Lunven, qui a illustré d'une gravure Motrice, seul recueil de Nogare publié par les éditions Fata Morgana. Rappelons que François Lunven, né en 1942, graveur de talent, s'est suicidé en se défenestrant le à la veille de sa deuxième exposition personnelle au département de l'ARC du Musée d'art moderne de la ville de Paris. 

Bibliographie de Pierre dalle Nogare :

Poésie :

Nerfs, Gallimard, 1954
Cellules, Gallimard, 1958
L'Autre hier, Gallimard, 1963
Hauts-Fonds, Flammarion, 1967
Motrice, Fata Morgana, 1970
Déméter, Flammarion, 1972
Mémoire d'autre, Flammarion, 1972
Double lointain, Commune mesure, 1975
L'Etoile double (fresque nocturne), Atelier de l'Agneau, 1976
Mourir ailleurs, La Différence, 1977
Erosion Usure, Thot, 1981 (Prix Mallarmé 1982)
Ouvert au dedans, Brandes, 1982
Mal être, Belfond, 1985
Voies blanches, Calligrammes, 1987 (le dernier texte écrit sur son lit d'hôpital, peu de temps avant sa mort en 1984 : un soliloque sur sa propre disparition).

Récits :

La mort assise, Jean-Jacques Pauvert, 1971
Le grand Temps, Julliard, 1974, rééd. La Différence, 1977
Les sentiments furtifs, Julliard, 1976
Récits des images, Belfond, 1977
Une journée vers le soir, Presses de la Renaissance, 1979
Tristan et Iseut, Club du Livre 1985, avec 10 gravures originales de Ceylan-Lestrange, Trignac, Sacksick, Pougheon, Lars Bo, Iwaya, Diaz, Sosolic, Serré.

Théâtre :

Les Gus
, Théâtre du Tertre, 1958

Oratorio :

Pour un espace de l'amour, Vodaine, 1974 (en collaboration avec Marie-Claire Banquart, musique d'Alain Banquart)

Livres d'artiste, chez l'éditeur Marc Pessin :

Figures de la cendre (hommage à Miro), 1983, 30 exemplaires
Déroutes, 1981, 1 exemplaire
Limbes et vertiges (à Léopold Sédar Senghor), 1983, 1 exemplaire
Plein soleil, 1984, 2 exemplaires, le tout dernier livre publié de son vivant.



 

 

 

Embryon

                                            à François Lunven.


1

Fixé dans l'espace
Mon corps occupe les Lieux
Où la mobilité me déplace :
Je suis moindre volume
Que l'apparent
Et m'éloigne
Dans l'état du fossé.
Je déroge
A mon espèce vers le pollen,
Parlant l'épiderme de Toi
Où meurent mes apparences
Dans le dépôt
De la Terre.
Formé d'Eaux et de Feux
Je suis l'Homme-terrain
Soulevé de sédiments
Où déjà stratifié
Je nargue ancienne ma naissance.


2

De l'Homme éjaculé
Je suis cailloux
Roulés en ses reins
Où par la Femme
J'ai pris corps :
Je dis
Le Temps antérieur
Que me prédit le calcaire :
Dans l'espacement de Toi
J'assigne mon contraire,
Le Dieu souterrain
Enfermé de froid
Ecoutant le fossile marin
Dans une herbe :
Masse de craie
Je vais à la rencontre
De l'ammonite
Où le débris m'espère.

 

3

En moi se formule
La preuve de l'ossement
Dans l'argile bleue
Des collines,
Jadis je fus
Alluvion :
A l'intérieur de Moi
Je dépose
Dans la Mer mes doubles :
Moi
Reliefs et effondrements
Je porte empreinte
Du mépris sableux.
Debout
Sur le sol déblayé
Je fixe
Les feuillets d'argiles
Où la Mer racinaire
Enfonce ses blocs
Parmi la vase,
Je remue et m'efface
Dans le balancement
Des marées
Et vois l'engorgement des algues
Puiser l'Eau de l'Eau.
Des glissements de flores
A l'averse brutale
Brunissent le sol
Où mes os
Bâtissent des structures
A raccords de versants.


Pierre dalle Nogare

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