"Trois feux", de Franck André Jamme, éditions Marchant Ducel, 20 pages en feuillets libres non foliotés, 49 exemplaires, 13 mars 1987
Toute sa vie durant, Franck André Jamme a été un grand passionné de poésie. Auteur de trente recueils de poèmes et de fragments, il a également contribué à la réalisation de la Pléiade du poète René Char. Ce spécialiste des arts bruts, tantriques et tribaux de l’Inde contemporaine est décédé le 1er octobre 2020, à l’âge de 73 ans.
Les publications des recueils de Franck André Jamme (de 1979 à 2017) ont été l’occasion pour le poète de collaborer avec de nombreux plasticiens, sculpteurs et peintres avec qui il a réalisé des éditions illustrées. Parmi eux, peuvent être cités Monique Frydman, Valérie-Catherine Richez, Lucie Ducel, Zao Wou-Ki, Olivier Debré, Richard Texier, Pierre André Benoît, François Bouillon, Marcel Miracle, Virgile Novarina ou encore le peintre tantrique Acharya Vyakul.
D'entre ses derniers recueils publiés, citons :
De la Distraction, avec Virgile Novarina, Virgile/Ulysse fin de siècle, 2005
Encore une attaque silencieuse, Melville-Léo Scheer, 2005
Mantra des réalités invisibles et des doigts troués de la vue, Ragage, 2006
Mantra Box, Éditions Conférence, Paris, 2010
Au secret, collection « pas de côté », tirage de tête Jan Voss, Éditions Isabelle Sauvage, 2010
L'apprenti dans le soleil, édition enrichie de deux dessins de James Brown, éditions Isabelle Sauvage, 2017
. Cinq notes rédigées par Franck André Jamme sur le livre Vyakul, (1993, édité par Agnès B.) avec une sélection d'œuvres de l'un des grands peintres tantriques de l'Inde moderne . En voici une :
"Quand on lui demande pourquoi ces cercles tracés et tant de pas, il répond au reste qu'il ne sait pas trop, que c'est ainsi. Mais que la très seule chose au monde qu'il a cherchée toujours, depuis toujours, s'il doit l'avouer, c'est l'énergie. Et il reprend, en souriant : qu'il ne cherche plus, en fait, maintenant : qu'il appelle et qui vient." Franck André Jamme
Franck André Jamme a publié Trois feux en hommage à René Char, dont Gallimard a édité en avril 1967 l'ensemble du théâtre (1946-1952) sous le titre Trois coups sous les arbres. D'une langue simple, quotidienne, où affleure sans cesse la poésie, ce livre regroupe Sur les hauteurs, Claire et Le Soleil des Eaux. Trois coups sous les arbres se fait l'écho "principalement (de) quelque chose qui soit de la vie deux ou trois fois multipliée, pas plus".
Trois feux est enté, ce pour les 16 premiers exemplaires, d'une gouache originale de Pierre André Benoît. Suit un extrait de l'ouvrage, pas souvent cité dans la bibliographie de F. A. J. S'y lit cette défiance vis-à-vis du monde que le poète entretient, toujours en quête de l'essentiel, aussi voilé soit-il, à extraire de sa gangue :
"(Pierre de liberté, pierre fluide, truite bleue sous les doigts du temps. Ou le temps lui-même, parfois. Et l'on ne sait plus l'autre ou soi.)
Ô cette chose que sont les choses, incontournable et lourde, qui souffle chaque matin à celui dont le cœur est empli depuis toujours de ce qu'il faut bien nommer le mal-être, pour on ne sait quelle raison du reste et qu'importe, pour aucune raison et pour toutes - qui souffle chaque matin l'insupportable, mais vous savez cela, l'horreur et la souffrance, les grands et les petits mensonges, les guerres, les corps qui cassent, la vanité, les promesses oubliées, l'humiliation, l'exploitation, la violence, l'aveugle, et cette course à la puissance, partout, aux biens et aux leurres du monde, laideur dansant avec absurde, monstre allant vers le monstre, car toutes ces choses s'engouffreront un jour une à une, bien entendu, dans l'isthme du grand sablier, savoir dans la gueule édentée de la mort !
Il lui faudra, pour sûr, des boissons fortes : l'espoir, la beauté et l'extase - le champ libre, toujours. Il lui faudra, secret mûri, sortir de sa tanière, aller jusqu'au pied du monde, bander ses muscles et arracher. Alors il découvrira, sous la pierre, le peuple des lumières : les éclairs et les feux, les soleils, les brûlures, tout ce qui nous fait voir. Braises étouffées mais pourtant vives, dormant sous chaque chose et attendant le jour. Ce n'est qu'après que vient l'offrande : l'art est d'être un retard."
Franck André Jamme