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"Diérèse" 75, hiver 2018/2019 : Poésies du monde, 304 pages, 15 €

Rafael Estrada, né et mort à Malaga (1934-2000), est l'un des plus singuliers des poètes espagnols du XXe siècle. Il a publié tout au long de sa carrière littéraire - qui débute en 1968 avec Valle de los Galanes - une cinquantaine de livres, plaquettes, cahiers, etc, le plus souvent hors des circuits commerciaux.
A partir de 1985 (avec El libro de las horas), il s'engage résolument dans la voie de l'innovation verbale, cherchant par ailleurs à fusionner tous les genres : poésie, théâtre, roman et essai. Ses derniers livres parus de son vivant sont El levitador y su vértigo (1999), La extranjera (2000) et El muchacho amarillo (2000).

Cosmologie essentielle


L'oiseau des indécisions


Pareil oiseau naît des indécisions des entrailles des miroirs et s'alimente de la réflexion et de la réfraction de la lumière. Son vol est à l'origine de la cristallographie, et son chant s'apparente philosophiquement parlant, à l'exaltation emblématique du moi. Ce volatile a pour habitude de revenir de loin en loin à son miroir d'origine, où il plonge et trouve nourriture dans des images jaunies d'adolescents en quête d'identité. Il leur pond dans les mains des Narcisses et des Ophélies à la dérive sur des fleuves éternels.


La raie lumineuse


La raie lumineuse - ou manta gigantesque de la nuit -, en dépit de sa nature marine vit plutôt dans les airs, où elle prend alors l'apparence d'une lune mouvante et facétieuse qui, par ses continuelles allées et venues, peut rendre fous les astrologues, occupés qu'ils sont à enregistrer avec tout le sérieux qu'on leur connaît et avec une précision scientifique ses vols sporadiques.


La panthère dorée


Elle surgit dans toute sa vocation héraldique, la panthère dorée, mais ce sont ses ailes qui lui donnent l'élégance dont elle se targue, et la font ressembler à un ange à la fois sublime et terrible. Le drame de ce félin de la nuit, qui vit tapi derrière les socles des statues publiques, c'est sa perverse humanité (dans le sens opposé à "bestialité"), sachant qu'il n'aime que la poitrine imberbe de jeunes créatures que son étreinte tue en un clin d'œil.

*

En rentrant chez moi m'est apparu dans le salon un tigre qui progressait, lent et lumineux, au beau milieu de verres en cristal de Bohème et de coffrets en porcelaine Ming : "Ce n'est pas un tigre !", s'est empressé de dire le majordome. "Surtout, ne le regardez pas ! Ce n'est qu'une métaphore, et les yeux des métaphores ne propagent que de fausses émotions poétiques."

Rafael Estrada
traduit par Luc Demeuleneire

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