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Généralement non mentionné dans la bibliographie du poète, romancier et traducteur Jacques Ancet, ce livre - d'une étonnante proximité avec le réel le plus immédiat, intériorisé à mesure - qu'ont précédés "L'incessant (Flammarion, 1979),La mémoire des visages(Flammarion, 1983) et Le silence des chiens(Ubacs,1990) [qui] constitue en fait le dernier chapitre (que les vicissitudes de l'édition ont empêché de paraître plus tôt) d'un texte écrit entre 1974 et 1984. Ce texte, je le vois aujourd'hui non pas comme un récit, c'est-à-dire, malgré méandres et ruptures, une linéarité (commencement, développement et accomplissement), mais, dans le surgissement imprévisible d'une voix et d'une irrépressible altérité, comme un récitatif en quatre mouvements, dont j'ignore s'il pourra un jour être publié en un seul volume intitulé Obéissance au vent." ainsi que l'auteur le précise dans son avant-lire. Signalons que La Tendresse est le second livre publié par Jacques Ancet au Mont Analogue. Le premier fut, en 1996, Silence corps chemin (en fait la réédition d'un texte écrit en 1973, publié initialement par Edmond Thomas). ... Ajouter ici que le défunt Mont Analogue a toujours effectué un travail de qualité, il a ainsi pu donner voix à des auteurs tels que Hervé Carn (Avec Sima), Alain-Claude Gicquel, Jacques Izoard (Entre l'air et l'air), Francis Coffinet (Contre le front du temps), Thierry Maricourt (La Limonade sans bulles)... Pour mémoire, Diérèse a eu le plaisir d'accueillir par trois fois Jacques Ancet dans ses numéros 50, 52-53 et 84.
Des extraits de La Tendresse dont voici l'exergue :
La tendresse prend naissance à l'instant où nous sommes rejetés sur le seuil de l'âge adulte et où nous nous rendons compte avec angoisse des avantages de l'enfance que nous ne comprenions pas quand nous étions enfants.Milan Kundera
L'air
l'air ou feu frais avec la peau avec peut-être l'air ouvert ou la bouche sur le ciel à manger ou le feu comme un fruit blanc qui coule ou sur la peau à peine frais un feu qui tremble
l'air, je dis l'air, je fixe ton vidage, immobile soudain, attentif à ma voix, tes yeux s'ouvrent, ils sont noirs d'une nuit profonde, je souris je dis, tu es vivant, bonjour, ta bouche est entr'ouverte comme au bord d'un aveu, je dis, regarde la lumière, regarde, montrant la chambre, la buée bleue de la montagne, je répète, tu es vivant, vivant, tu me fixes à ton tour, écoutant, mes mots peut-être ou les oiseaux ou une mouche contre la vitre, mais continuant je t'ai vu reculer, fuir, comme happé par le temps et mes mains sont restées seules posées à plat sur la table avec cette lassitude des jours, l'imperceptible écrasement, couloirs, odeur de poussière des salles vides, boulevard vomissant ses camions et déjà je ne sais plus te rejoindre, j'ai beau t'appeler doucement, écoutant ton silence, tu es loin, je suis perdu dans l'infini désordre, midi moins vingt carrefour bouteilles entrechoquées allô oui, j'étouffe je cherche ton air, cette étreinte minuscule sur mon pouce, cette rumeur de bouche, je me penche vers ton odeur, comment dire, fruit ou matin léger, ma phrase glisse vers toi, touche un point clair, quelque chose, blancheur comme un souffle entre oubli et mémoire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
blanc un ciel peut-être caresse ronde à boire lait ou lèvres avec un jour blanc sur la langue quelque chose comme d'ailes ou rien ciel à peine qui passe
... mais le jour gris, très vite, comme un mur, l'immobile clôture des choses, une grille, une embrasure où s'étoile un carreau brisé, un radiateur, une table, une corbeille de plastique vert, tout ce qui fait ma solitude, ce face à face obtus où je te perds, je tends la main sur ton sommeil, mes doigts effleurent ta tête, cette tiédeur lointaine, les yeux fermés, j'écoute ton souffle, je ne bouge plus, mais l'espace reste entre nous, le temps, source à peine pour toi et pour moi déjà fleuve qui m'emporte et je ne peux plus résister, je crie, je te fais signe, tu es près de la rive, immobile encore, je me retourne pour te voir, je compte les jours, le soir tombe et je suis seul malgré ton souffle calme, dehors le vent fouille la nuit, je cherche à comprendre l'évidence de te forme immobile, même dans le sommeil tu m'habites, je bouge, je te vois mais ce n'est pas toi, il y a une grande prairie, ta tête dépasse à peine sur l'herbe haute, elle semble y flotter comme sur des vagues vertes, je cours mais tu t'éloignes, des tiges se prennent à mes chevilles, j'avance péniblement, lâche-moi, lâche, comment suis-je debout penché sur toi, happé par tes pleurs, ton corps s'est incrusté contre le mien, je marche dans le noir murmurant des paroles légères, fredonnant parfois, titubant dans le froid qui monte sur mes jambes, écoutant tes sanglots, intermittents maintenant, disant je t'aime, te serrant plus fort, je t'aime, prononçant ton nom, le répétant, marchant longtemps jusqu'à ton souffle calme mais je n'ose t'arracher à moi, je cherche à comprendre cette émotion fragile, cette violence douce comme la première neige, l'aube est à la fenêtre, un silence d'oiseaux avec, dans la fatigue, le début des couleurs. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .