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La première édition de ce livre pas comme les autres date de 1942, il avait alors été demandé à quatre auteurs d'illustrer une saison : pour le Printemps, André Gide ; pour l'Eté, Jules Romains ; pour l'Automne, Colette ; pour l'Hiver enfin, François Mauriac. Les miniatures sont de toute beauté, extraites des Très Riches Heures du Duc de Berry, des Heures d'Anne de Bretagne, des Grandes Heures de Rohan, des Heures à l'usage de Rouen.
Je suis né en été, vers la fin de la canicule. Je me demande s’il ne s’établit pas quelque lien assez intime entre la saison où nous sommes nés et nous-mêmes. Pour ma part, l’été me fut toujours plutôt favorable. J’en éprouve comme un autre les désagréments et les malaises. La violente chaleur ne me fait pas plaisir. Je n’aime pas les temps orageux. Mais c’est en été que j’ai travaillé, que je travaille encore plus, et le plus facilement. Si mon corps tout seul avait à donner son avis, il se plaindrait peut-être autant de l’excès de chaud que de l’excès de froid. Mais le froid, même lorsqu’il ne règne qu’au dehors et que j’en suis séparé par des murs et des vitres, m’insinue volontiers une paresse, un engourdissement, un penchant à la rêverie passive, à la mélancolie somnolente, et c’est alors à la vie sociale que je m’adresse pour me secouer ; tandis que le fort de l’été coïncide pour moi avec une activité de l’esprit lucide et abondante, avec le besoin le plus vif de produire et l’illusion que les moyens m’en sont offerts généreusement. Une bonne partie de ce que j’ai fait est comme moi enfant de la canicule. La chaleur, en même temps qu’elle m’incommode, m’excite. Et sans doute l’air des semaines orageuses est-il parcouru de fluides auxquels la pensée s’abreuve comme à de subtils robinets d’alcool.
Maintenant que je laisse agir en moi ce nom de l’été, une espèce de vrille lumineuse s’enfonce dans mon passé, et je vois luire, instant par instant, des choses qu’en creusant ses spires elle atteint et découvre. Mais, avant de rien reconnaître, je retrouve à toutes les profondeurs la même impression de vie tendue, le contraire du recroquevillement, une façon qu’a ma personne d’affluer à ses propres frontières. Ma tête multiplie ses idées et les pousse le plus près possible des objets. Une fine musique bourdonnante m’habite, me rassure entièrement sur moi-même, sur mon droit à exister. (Et peut-être ne suis-je encore qu’un enfant.) Des bruits résonnent autour de moi comme à l’intérieur d’un monde plein. Ce sont les bruits d’une rue où le soleil s’encaisse entre les façades ; peut-être le roulement d’une voiture d’autrefois, et des pas de chevaux. Il y a une voix de l’été dans les villes qui n’a pas changé à travers les temps, qui est hardie, un peu dure, un peu rauque. Il y a le contact de l’air, qui n’a plus besoin d’être piquant ni remuant pour se faire sentir ; il y a l’odeur de la rue, qui est celle d’un récipient desséché, aux parois de pierre et de bitume. Et, s’il pleut ou qu’on arrose, la mouillure elle-même prend une odeur un peu cuite.