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Cette lettre, ici traduite, a été adressée par Franz Kafka depuis le sanatorium "Wiener Wald", à Ortmann (en Autriche) à Robert Klopstock, "ange gardien" des derniers jours de Kafka qui décède le 3 juin 1924 à Kierling : missive écrite donc deux mois à peine avant sa mort, en toute conscience que ses médecins n'osaient même plus lui dire la vérité.
C'est en 1921, dans le sanatorium de Matliary que les deux hommes se rencontrèrent : leurs goûts littéraires et philosophiques (notamment Kierkegaard), leur judéité, leurs situations financières précaires et leur santé pareillement affectée par la tuberculose, les rapprochèrent au point de les rendre inséparables. Se développa dès lors entre eux une relation de nature quasi-filiale: Robert Klopstock était un étudiant en médecine désargenté, et Franz Kafka fit son possible pour l'aider à venir poursuivre ses études à Prague et lui apporter un soutien moral dans ses épreuves. De son côté, Robert Klopstock s'inquiétait de la santé de Kafka, lui envoyait lettres et colis quand celui-ci était loin de Prague, et vint l'assister dans les dernières semaines de sa vie au sanatorium de Kierling. Ce qui fit écrire à Franz Kafka, peu de temps avant sa mort : "Je sais par expérience qu'on est soutenu par [Klopstock] comme dans les bras de l'ange gardien".
"Cher Robert, rien que du médical, tout le reste est trop compliqué, mais ça - son seul avantage - d'une réjouissante simplicité. Contre la fièvre, trois fois par jour du Pyramidon liquide - contre la toux, Demopon (malheureusement d'aucune aide) et des bonbons à l'Anesthésine. En plus du Demopon, de l'Atropine, si je ne me trompe pas. Le principal est bien le larynx. En paroles, toutefois, on n'apprend rien de sûr : dans une discussion sur la tuberculose du larynx, chacun de tomber dans un discours timide, évasif, le regard fixe. Mais "congestion postérieure", "infiltration", "pas méchant", mais "on ne peut encore rien dire de sûr", tout cela associé à de très méchantes douleurs, suffit assurément. Sinon : bonne chambre, beau pays, en fait de favoritisme je n'ai rien remarqué. Je n'avais pas eu l'occasion de mentionner le pneumothorax, mais avec mon mauvais état général (49 kg. en habits d'hiver), il n'entre même pas en ligne de compte. Je n'entre pas en relations avec le reste de la maison, garde le lit, ne puis même plus que chuchoter (comme c'est allé vite, cela a commencé très vaguement pour la première fois vers le troisième jour à Prague), on dirait un grand nid à parlotes de balcon à balcon, pour l'instant ça ne me dérange pas..."
"Lieber Robert, nur das Medicinische, alles andere ist zu umständlich, dieses aber – sein einziger Vorteil – erfreulich einfach. Gegen Fieber 3 mal täglich flüssiges Pyramidon– gegen Husten Demopon (hilft leider nicht) - und Anästesinbonbons : zu Demopon auch Atropin, wenn ich nicht irre. Hauptsache ist wohl der Kehlkopf. In Worten erfährt man freilich nichts bestimmtes, da bei Besprechung der Kehlkopftuberkulose jeder in eine schüchterne ausweichende starräugige Redeweise Verfällung. Aber "Schwellung hinten", "Infiltration" "nicht bösartig" aber "Bestimmtes kann man noch nicht sagen", das in Verbindung mit sehr bösartigen Schmerzen genügt wohl. Sonst : gutes Zimmer, schönes Land, von Protektion habe ich nichts bemerkt. Pneumothorax zu erwähnen hatte ich keine Gelegenheit, bei dem schlechten Gesamtzustand (49 kg. In Winterkleidern) kommt er ja auch nicht in Betracht. Mit dem übrigen Haus komme ich gar nicht in Verkehr, liege im Bett, kann ja auch nur flüstern (wie schnell das ging, etwa am dritten Tag in Prag begann es andeutungsweise zum erstenmal), es scheint ein grosses Schwatznest zu sein von Balkon zu Balkon, vorläufig stört es mich nicht..."