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Diérèse en était à sa quatrième année d'existence. A l'époque, la Bibliothèque nationale de Londres décidait que, faute de place et d'argent, les livres jamais consultés seraient envoyés au pilon ; ladite bibliothèque faisait dans le même temps appel aux lecteurs français pour parrainer des livres du domaine francophone menacés d'extinction. Et puis le talentueux traducteur Bernard Simeone s'éteignait, le 13 juillet 2001, à l'âge de 44 ans. Traducteur de Mario Luzi, qu'il admirait et que le poète italien tenait en grande estime, Simeone avait fondé en 1988, chez Verdier, la collection "Terra d'altri", permettant au lectorat francophone de découvrir des écrivains italiens d'importance. Dans son Anthologie de la jeune poésie italienne, il insistait sur la "lisibilité de cette poésie", qu'il attribuait au fait que ces "poètes qui comptent aujourd'hui en Italie ont su dépasser (parfois en le niant, parfois en l'intégrant) l'héritage paradoxal des avant-gardes".
Dans ce numéro 15, on pouvait lire des traductions alors inédites de Leopoldo María Panero, par Luc Demeuleneire. Ce poète, mort en hôpital psychiatrique, est ainsi présenté dans l'"Histoire de la littérature espagnole", aux éditions Critica : "Panero (Madrid, 1948, Las Palmas de Gran Canaria, 2014), de par des circonstances personnelles qui transparaissent en permanence dans son œuvre, est un cas à part parmi les poètes contemporains. Maudit par nécessité, déchiré, chaotique, il a fait de la folie et des théories psychiatriques les protagonistes de son œuvre. (...) Certains critiques considèrent sa trajectoire poétique comme l'une des expériences esthétiques contemporaines les plus radicales." Voici, extrait de "Ainsi fut fondée Carnaby Street", livre paru en 1970, le poème retenu par Diérèse opus 15 (pages 158-159). Ce texte, l'un des meilleurs du poète, est dans la lignée des écrits de Philip Lamantia (cf Diérèse 46, oct. 2009, pages 110-116) :
20 000 lieues sous les mers
Comme un fil ou une aiguille à peine perceptibles comme un fragile morceau de cristal meurtri par le feu comme un lac dans lequel il est doux en ces moments de s'immerger oh cette paix qui soudain baigne mes dents cette étreinte des profondeurs lumière lointaine qui me parvient à travers l'immense parvis de la cathédrale déserte y aurait-il quelqu'un capable de briser ces barreaux comme des épis laissez-moi reposer dans le silence de ce visage qui n'exige rien laissez-moi attendre l'iceberg qui vogue silencieux sur la mer sans lune permettez à mon baiser de glisser sur son corps glacé lorsqu'il atteindra la rive où seul, l'attente est possible oh laissez-moi embrasser cette fumée qui se dissipe ce monde qui m'accueille sans rien me demander ce monde d'ouistitis disséqués mourir dans les bras du brouillard mourir oui, ici où tout est neige ou silence permettez à ma poitrine ardente d'expirer après un baiser donné à de l'air, à seulement de l'air au loin le vent est une puissante guitare qui ne nous appelle pas et la lumière de la lune n'est pas capable de nous offrir la moindre réponse laissez-moi alors embrasser cet astre éteint, passer de l'autre côté du miroir et parvenir ainsi là où même soupirer n'est pas possible où seules des lèvres immobiles ne disent ni ne rêvent et parcourir ainsi cet immense Musée de cire en m'arrêtant par exemple aux plumes nouvellement nées à l'instant où la lumière éblouit la chrysalide et un peu plus tard la lune en ses chuchotements examiner ensuite les lèvres qui brillent quand deux corps s'unissent pour former une étoile et fermer enfin les yeux quand le papillon près de tomber sur la terre sourde cherche en vain à orienter ses ailes en direction du vert qui désormais l'ignore